Le dictionnaire des
mots moches
 
Tout ce qui est nécessaire pour écrire et causer moche.
 
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Pensée dont la profondeur n’échappera à personne : le français est une langue vivante, avec des mots qui naissent, d’autres qui disparaissent.

Notre chauvinisme national a de temps à autre des velléités de refus devant l’irruption de mots étrangers, oubliant parfois que certains nous reviennent après un séjour sous d’autres cieux : obsolètes chez nous, ils reprennent vigueur, parfois avec leur sens ancien. Il serait absurde de vouloir interdire tous les mots d’origine réellement exotique : que deviendrait-on sans l’arabe chiffre, l'anglais week-end, et bien d’autres encore (hasard, piano, tulipe,...). Les campagnes d’Etiemble contre le franglais, la loi Toubon pour la protection de notre langue se révèlent être des donquichotteries inefficaces. D’autres francophones que les Français de France savent prendre des initiatives qui laissent à notre idiome toute sa saveur. Exemples : les « tabliers » d’Afrique de l’Ouest (épiciers qui ne possèdent qu’une table pour toute boutique), les « chars » du Québec (automobiles)... Les mêmes francophones ne se privent pas d’employer des mots exogènes quand le concept est nouveau (mais l’on peut préférer tronçonneuse à chain-saw).

Souvent, des mots français utilisés dans une autre langue viennent dans nos bouches ou sous nos plumes avec leur sens étranger. Il devient alors difficile de bien se comprendre quand on ne sait comment l’interlocuteur en use et abuse. C’est le cas pour sophistiqué, efficient, pour ne citer qu’eux. Autre pensée profonde : comme une langue c’est d’abord fait pour se comprendre, ces faux-sens sont à proscrire et ceux qui les profèrent à incarcérer (pour le moins).

Il y a plus ridicule, grotesque même. C’est le pédantisme de ceux qui utilisent à tout va des mots incongrus dont ils se gargarisent avec satisfaction. Les hommes politiques souvent (il n’y a pas que la langue de bois), les journalistes (toujours pressés, il ne faut pas trop leur en vouloir) et aussi, de façon générale, tous ceux qui s’autorisent à parler sans rien avoir d’intéressant à dire. Ce sont eux qui diffusent ces « mots longs d’une toise, de grands mots qui tiendraient d’ici jusqu’à Pontoise » dont Molière se gaussait déjà. L’allongement des mots (solutionner, positionner, sécurisation,...) est une forme de décadence peut-être plus grave que l’emprunt de vocabulaire à une langue étrangère. Il est vrai que notre beau langage déteste les répétitions, ce qui oblige à trouver synonymes, périphrases et images avec tous les dangers que cela comporte.

Le glissement du sens est fréquent. Personne n’échappe à de tels travers. Il y a quelques années, Jacques Chirac parlait, dans l’introduction de son livre « Une nouvelle France », d’une « écorce... friable », épithète réservée à une roche. Il n’y a pas de quoi en faire un scandale. C’est ainsi qu’une langue vit. On a parfois des surprises en découvrant que tel ou tel mot est considéré comme impropre depuis un siècle ou plus, ce qui donne une idée assez peu flatteuse de la souplesse de nos dictionnaires. Il est plus inquiétant de constater que nombre de nos beaux parleurs ne se privent pas d’utiliser du vocabulaire faisant appel à des notions scientifiques précises sans les avoir réellement comprises...

Les langages spécialisés sont une source inépuisable de mots incongrus. J’ai essayé de ne pas trop m’y plonger, me contentant de citer quelques anomalies empruntées à quelques sports, à l’informatique, et, ce qui n’étonnera personne, au commerce. Louons au passage la vitalité de la publicité, même si ses inventions dérangent, et sourions de l’herméticité des discours philosophiques ou linguistiques.

Ce petit ouvrage ne cherche pas à paraître sérieux. Je m’esquiche dans les querelles des grammairiens et des linguistes. Pour l’écrire, j’ai tout simplement écouté la radio, regardé et entendu la télévision, feuilleté des revues, sollicité des amis et toute la famille pour qu’ils aillent à la pêche aux bons mots. Pour vérifier les anglicismes, j’ai utilisé un procédé très simple : tout mot d’apparence française est suspect s’il figure dans la partie anglais-français du dictionnaire Harrap’s Compact sans être dans la partie français-anglais. Pour les néologismes courants, je me suis contenté le plus souvent d’un Petit Larousse Illustré de 1971, avec des emprunts au Robert et au Quillet. Pour les mots anciens, L’Obsolète (Dictionnaire des mots perdus) et l’inévitable Littré m’ont été d’un grand secours. Tout cela est à la portée de n’importe quel honnête homme. Surtout s’il ne cherche pas à être exhaustif ni à écrire une thèse universitaire.

Je dois signaler le très intéressant apport qu’a été un livre trouvé un peu par hasard, alors que j’avais déjà répertorié plus de trois cents « mots » : il s’agit de Pour un meilleur français de René Georgin, livre paru en 1951 aux Éditions André Bonne. Cette lecture m’a confirmé que le péril n’est pas aussi grave que certains l’affirment : que sont devenus les abrager, automobilable, confortabilité, diversionnisme, tractionnement, et j’en passe, qui irritaient tant nos experts (« le musée des horreurs ») il y a soixante ans ? Dans le même temps, actualiser, concessionnaire, contacter, documentaliste, normaliser, parasiter, entre autres décriés de l’époque, sont devenus banals. J’ai été conduit à ajouter une quarantaine de termes dont la liste est ici, me demandant souvent pourquoi je les avais omis précédemment. J’ai parfois emprunté sans vergogne certaines citations trouvées dans ce livre lorsqu’elles me semblaient correspondre à l’esprit souvent farceur de mon écriture.

Si le lecteur sourit de temps à autre, ce sera déjà très bien. Certains souriront jaune, croyant se reconnaître ; qu’ils sachent bien qu’ils ne sont pas les seuls à utiliser le terme cité et que l’auteur a souvent puisé dans ses propres propos. Si ce qui suit peut servir à ce que l’on se comprenne un peu mieux entre francophones, à ce que l’on joue à inventer des discours mirobolants, ou encore à ce que l’on réfléchisse un peu, de temps à autre, aux mots que l’on utilise, alors ce sera merveilleux...

 Jean-Michel Gaudin